mercredi 26 mars 2014

La Génération Y, une classe d'âge façonnée par le net, Marie Boëton. (Contribution de Caroline D.)

Marie BOËTON, journaliste à La Croix / Revue ETUDES de juillet-août 2013.

            Se distraire, consommer, s’informer est désormais possible par un simple clic. Vivre connecté, télécharger de la musique en ligne, faire un exposé à partir de Wikipédia, poster ses photos sur Facebook, relèvent de l’évidence pour les digital natives. Nés entre le début des années 80 et le milieu des années 90, les 15-30 ans appartiennent à ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « génération Y ».


            Selon certains, le Y qui se prononce « Why » en anglais et signifie « pourquoi » renvoie à la remise en cause permanente par les 15-30 ans, des décisions prises par leurs aînés. « Ces jeunes ont le sentiment d’avoir réponse à tout en ligne. Dès lors, ils ne supportent pas les autorités autoproclamées. Ils veulent comprendre avant d’apprendre ou d’obéir » Olivier ROLLOT, spécialiste des questions d’éducation et auteur de « La génération Y » (PUF).
            Comment caractériser cette classe d’âge ? Si les générations précédentes ont été marquées du sceau d’un évènement historique (2 guerres mondiales, mai 1968…), les digital natives ont été massivement et durablement façonnés par Internet. .. La génération Y ne se résume, certes, pas à cela. Elle est marquée par la précarité affective et professionnelle de ses ainés. Elle se caractérise aussi par une forte défiance vis-à-vis des institutions. Mais ici nous nous intéresserons à la manière dont la révolution numérique a façonné cette classe d’âge.
            Le fait d’être entourés d’écrans et de vivre en permanence collectés au Net a en effet bouleversé les modes d’apprentissage des 15-30 ans, de même que leur façon de se socialiser, de se cultiver, de militer, etc.…  En quoi l’émergence d‘Internet – que certains présentent come aussi fondamentale que l’avènement de l’écriture ou l’apparition de l’imprimerie – fait-elle des digital natives, des élèves, des consommateurs et des citoyens différents ?

Mémoire versus inventivité.

            Avoir un écran pour compagnon de jeu depuis le plus jeune âge, tel est le sort des digital natives. Comment un tel environnement impacte-t-il le développement cognitif de l’enfant ? Selon les études de Olivier HOUDE – directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant à l’Université Paris-Descartes - , « Lorsque les élèves font face à un écran, ce sont souvent les parties postérieures du cerveau, les parties visuelle et sensorielle – en clair, l’intelligence élémentaire - qui sont activées…Ainsi les élèves sollicitent moins le cortex préfrontal, c’est-à-dire le lieu de la synthèse personnelle et de l’abstraction, mais on peut leur apprendre à la faire ! … D’où le rôle de l’éducation »
            De leur coté, les enseignants se plaignent surtout de la réflexion fragmentée de leurs élèves. Sur-sollicités, les adolescents ont tendance à vivre dans l’instantanéité et éprouvent plus de difficultés à se concentrer. Dans un ouvrage aussi polémique que commenté, «   Internet rend-il bête ? », le journaliste américain Nicholas CARR va jusqu’à prédire une baisse du QI des futures générations.
            Connectés en permanence à Internet, les digital natives renouvellent le rapport au savoir, eux qui ont réponse à tout en quelques clics sur Wikipédia. Cet accès à un flot infini d’informations bouleverse de fait, la mission de l’enseignant. Elle est bien révolue l’époque où ils étaient les seuls dépositaires du savoir….
            « Les cours magistraux « à l’ancienne » ne réussissent plus à capter l’attention des élèves. Ces derniers finissent par devenir très exigeants : ils veulent désormais faire en cours quelque chose qui n’a pas d’équivalent ailleurs, selon Denis KAMBOUCHNER, professeur de philosophie à Paris I... Conscients de cette évolution, certains établissements  du supérieur diminuent par exemple le nombre de cours en amphithéâtre. A l’université de CERGY-PONTOISE, dans les disciplines scientifiques, les cours magistraux  ont diminué au profit des travaux dirigés, ce qui permet aux enseignants  d’intervenir de façon individualisée auprès des étudiants. Il ne s’agit plus pour eux de délivrer un cours – qui peut désormais être mis en ligne – mais de s’adapter au rythme des élèves, d’aiguiser leur esprit critique, de les amener à remettre en perspective différents concepts.
            Parallèlement, de plus en plus d’écoles d’ingénieurs et de management organisent leur scolarité autour de projets. « Il arrive un moment où les étudiants prennent acte des compétences qui leur manquent pour mener à terme ces projets : c’est à ce stade que l’enseignant intervient et leur dispense le savoir qui leur fait défaut. On assiste alors à une inversion de la charge de la preuve : c’est à l’enseignant de démontrer son utilité » (Olivier ROLLOT).
            L’idée même d’acquisition de connaissances se trouve remise en question par les nouvelles technologies. En effet, pourquoi apprendre, pourquoi mémoriser si le NET se souvient de tout pour nous ? Si nous sommes tous dotés de ce vaste disque dur externe qu’est Internet, pourquoi ne pas plutôt consacrer tout son temps à la création ? Les adolescents sont les premiers à vouloir se décharger des tâches répétitives de mémorisation et laisser libre cours à leur inventivité. C’est le sens du propos de Michel SERRES, auteur de Petite Poucette,  ouvrage dans lequel il analyse le bouleversement provoqué par l’accès généralisé au savoir. « On a le cerveau vide, mais le vide du cerveau peur être libérateur… Il nous a rendus disponibles pour de nouveaux usages. Nous pouvons enfin nous concentrer sur l’intelligence inventive ».
            Tous ne nourrissent pas le même optimisme. Pour Denis KAMBOUCHNER : « Il est illusoire de croire qu’il suffit d’avoir accès au savoir pour savoir. Pour bénéficier de la richesse des informations disponibles sur le Net, encore faut-il avoir déjà en soi des structures intellectuelles prêtes à les réceptionner et à les remettre en question ». Faute de quoi, les jeunes générations risquent de rencontrer de réelles difficultés à raisonner par elles-mêmes.

Vers une « cyber socialisation »

            Si les 15-30 ans apprennent différemment, ils se socialisent différemment, ou plutôt ils se cyber socialisent. Les amitiés continuent de se nouer en milieu scolaire, mais elles se prolongent désormais en ligne sur les « chats », les réseaux sociaux ou via les blogs. Les digital natives développent une véritable identité numérique.  « Il s’agit pour eux d’être populaires : à la fois assez proches des autres pour être accepté et suffisamment singulier  pour être respecté », selon Olivier ROLLOT. Certains jeunes se racontent dans les moindres détails, d’autres se contentent de livrer leur humeur du jour, d’autres encore postent en ligne leurs vidéos et leurs musiques favorites, montrant ainsi à quelle tribu ils se rattachent. « L’utilisation des réseaux numériques incite au dévoilement de sa subjectivité et à une certaine mise en scène de soi-même » (Monique DAGNAUD). Dans son livre « Génération Y », elle précise : « Blogs et réseaux sont très éloignés de l’exploration intérieure conduite dans les Journaux Intimes ; les jeunes y travaillent davantage une projection de soi qu’une recherche d’explication de soi ; plus précisément, la réflexivité demeure mais l’internaute ne perd jamais à l’esprit que sa subjectivité va être publicisée et qu’elle doit être affinée sous un angle  original. Cette communication est donc en partie calculée ».
            Lees réseaux sociaux se trouvent eu cœur de cette écologie numérique. Et tout particulièrement le site américain Facebook, devenu le lieu d’expression privilégié des jeunes générations.  Etant avant tout un lieu d’échange et de partage, il permet aussi d’afficher son capital relationnel en diffusant sa liste d’amis (120 en moyenne).
            On aurait tort de voir dans cette « cyber sociabilité » une duplication des relations sociales nouées dans la « vraie » vie. Les échanges en ligne obéissent à d’autres codes communicationnels. Les internautes s’épanchent souvent beaucoup plus facilement qu’ils ne le font de visu. Pour des adolescents parfois mal à l’aise avec leur corps, Internet est devenu dans certains cas, un canal d’expression idéal. Non sans risque. Car si l’humour, l’hilarité et l’autodérision (le fameux esprit LOL –laughiing out loud, rire à gorge déployée) caractérisent les 15-30 ans, la moquerie tient une place de choix dans la culture jeune.
            Certains éprouvent une véritable excitation à l’idée de tourner autrui en dérision. Les plus malveillants peuvent se montrer particulièrement cruels. Leur jeu favori : repérer une victime en ligne, récupérer ses coordonnées personnelles, les diffuser sur la Toile et inciter ensuite les internautes à lui rendre la vie impossible. Confer l’affaire Jessi SLAUGHTER : en 2010, cette adolescente américaine volontiers mythomane, déclare en ligne avoir une relation amoureuse avec une jeune rock star. Ses propos sont immédiatement tournés en dérision. Après avoir crûment insulté ses détracteurs, la jeune fille se trouve victime d’une terrible vengeance des internautes. Son adresse est diffusée sur le Net. Les internautes lui font livrer des milliers de pizzas, à charge pour elle de payer les additions. Ils décident ensuite de faire passer son adresse pour un lieu de prostitution. La police a dû placer sa famille et l’adolescente sous protection pendant quelques mois.
            « L’effet de groupe et l’anonymat inhérents au Net encouragent la transgression. C’est un peu comme s’il délivrait de tous les codes sociaux. Par ailleurs, le fait de ne pas connaître la victime incite encore plus à la désinvolture » (Monique DAGNAUD).
            Peut-être est-ce cette même désinvolture qui amène les digital natives à dévoiler leur intimité en ligne. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 82 % des 18-24 ans mettent en ligne leur date de naissance et 85 % leur identité, 7086 % y déposent des photos et 5 % vont jusqu’à indiquer leurs orientation sexuelles (enquête IFOP – 2010). Les murs servaient à délimiter et à protéger la vie privée de chacun ; le « Wall » de Facebook permet désormais de se donner à voir. Etonnant glissement sémantique !
            Alors que la CNIL mène une veille scrupuleuse pour empêcher tout fichage abusif des citoyens, les digital natives se dévoilent chaque jour un peu plus. Ils semblent ignorer qu’un jour leur futur patron « googelisera » leur nom avant de les recruter. Ils oublient aussi que les marketeurs se repaissent du flot de renseignements déversés quotidiennement en ligne.
            Les 15-30 ans finiront-ils par prendre la mesure des risques qu’il y a à exposer ainsi leur vie privée ? Sans doute. Mais reste à savoir quand. En attendant une telle prise de conscience, certains réclament la mise en place d’un droit à l’oubli sur le Net, et tout particulièrement au profit des adolescents. Le Défenseur des Droits, Dominique BAUDIS, souhaite au nom de la protection de l’enfance, que les internautes puissent faire disparaître des réseaux toutes les informations personnelles, mises en ligne lorsqu’ils étaient mineurs. La Commission européenne va dans ce sens ; les réseaux sociaux y sont pour l’heure farouchement opposés. Les parents des premiers concernés semblent étrangement en retrait sur ce sujet pourtant décisif. En réalité, la plupart d’entre eux se savent dépassés par leur progéniture sur le plan technologique. Plus grave, ils ignorent souvent l’usage que les plus jeunes font du Net.
            Il faut reconnaître qu’en l’espace de 20 ans, la vie familiale a connu de profonds bouleversements. Le temps passé en famille n’est plus un temps vécu avec la famille. Chacun vaque à ses centres d’intérêt. Il y a une vingtaine d’années, les adolescents regardaient la télévision dans le salon et monopolisaient la ligne téléphonique du foyer pour discuter entre amis. La donne a radicalement changé depuis : les digital natives téléchargent des films et les visionnent sur leur ordinateur personnel. Ils passent leur temps à échanger des SMS, au fond de leur chambre. Résultat : le pourvoir de filtrage des parents a fini par disparaître. La socialisation verticale (entre parents et enfants  a progressivement été supplantée par la socialisation horizontale (entre membres d’une même génération). Les « pairs » jouent désormais un rôle prépondérant… au détriment des pères.
            Les parents ne semblent pas s’en offusquer. Tout d’abord, parce que l’épanouissement de leurs petits prime sur le reste. Ensuite, parce qu’ils culpabilisent eux-mêmes de rentrer tard du travail ou d’imposer une garde alternée à leurs rejetons après un divorce. En clair, ils ne se sentent pas en position de force pour rejeter l’usage que leur progéniture fait du Net. De surcroit, pour Olivier ROLLOT, la plupart des adultes refusent délibérément de s’immiscer dans l’intimité de leurs enfants. « S’ils leur laissent autant de liberté, c’est aussi parce que, consciemment ou non, ils ne sont pas certains de posséder les codes du monde à  venir.  Ils ne veulent pas leur inculquer des vérités qui risquent d’être bientôt dépassées ».

« On ne vole pas, on partage ! »

            C’est sans doute dans la sphère des loisirs que les digital natives et leurs ainés peinent le plus à se retrouver. Un monde sépare les 2 générations, les « enfants d’Internet » et les « enfants de la télé ». Ces derniers continuent à plébisciter le petit écran quand les plus jeunes optent pour les films téléchargés et les séries en « streaming ». « Les 15-30 ans ont du mal à se plier aux règles de la télévision qui imposent d’être disponibles tel jour à telle heure pour regarder un programme. Ces jeunes tiennent à avoir une plus grande maitrise de leur temps libre » (Olivier DONNAT, sociologue)
            Internet bouleverse-t-il en profondeur les pratiques culturelles ? A-t-il fait émerger une culture générationnelle dépassant l’appartenance de classe ? Pas réellement. « Les usages d’Internet ont pris place dans des univers culturels qui préexistaient, sans modifier les centres d’intérêt » (Olivier DONNAT). En clair, on va chercher sur Internet, ce que notre milieu socioculturel nous prédestine à aimer.
            Internet a en revanche considérablement boosté la créativité. 74% des 15-20 ans ont une activité d’autoproduction sur ordinateur (photos, blogs, production de vidéos ou de musique). On ne peut pas parler d’œuvres au sens strict. La plupart des jeunes se contentent en effet de détourner des vidéos existantes pour les pasticher. Seule une minorité met en ligne des productions plutôt abouties dans l’espoir de gagner une petite notoriété. « Le Net stimule les expressions artistiques et rend poreuses les frontières entre la pratique artistique du pur loisir et la mobilisation d’un réseau en vue d’une carrière » (Monique DAGNAUD). Les techniques de numérisation – peu couteuses – et la généralisation de l’accès au Net ont radicalement démocratise la production et la distribution de contenus culturels. Résultat : la frontière entre amateurs et professionnels s’est progressivement brouillée, tout comme celle qui opposait consommateurs et producteurs de biens culturels.
            A force de diffuser gratuitement en ligne leur propre production, les digital natives ne voient pas la nécessité de rémunérer celle des autres. Ils s’adonnent d’ailleurs massivement au téléchargement illégal. 57% des 18-24 ans piratent de la musique (contre 18 % pour l’ensemble des Internautes). Près de 42% des 18-24 ans font de même avec les films (contre 13ù pour le reste de la population. Et ils ne semblent pas éprouver la moindre culpabilité. « On ne vole pas, on partage ». Le fait d’avoir fait perdre au secteur musical la moitié de son chiffre d’affaires ne les émeut guère. Consciemment ou non, les digital natives militent pour que les biens culturels deviennent des biens publics.
            Ils culpabilisent d’autant moins que ces biens sont totalement immatériels et immédiatement accessibles. Partir d’un magasin avec un DVD sous le bras est considéré comme du vol,  mais avec lé téléchargement, c’est différent ! Le fait que tout se passe en quelques clics rend ce vol presque virtuel à leurs yeux.                                                                                                                       
            En répétant « on ne vole pas, on partage », les 15-30 ans font preuve de mauvaise foi et ils le savent… On aurait tort toutefois de nier leur appétence sincère pour le partage. En témoigne leur engouement pour la colocation, le covoiturage, le coachsurfing… « Ils plébiscitent les sites de location de voitures, d’outils et même de vêtements de marque. A   leurs yeux, tous ces biens doivent circuler. Ils consentent à dépenser de l’argent pour des expériences immatérielles, comme les voyages, mais achètent de moins en moins des biens matériels, susceptibles d’être échangés ou partagés » (Olivier ROLLOT). … Partager plus que posséder, tel serait le leitmotiv des 15-30 ans…. Reste à long terme, deux inconnues. Cette propension au partage perdurera-t-elle au fil des temps ? Car, ne soyons pas dupes, elle s’explique aussi du fait de leur pourvoir d’achat limité. Qu’en sera-t-il dans quelques années, lorsque l’embourgeoisement aura fait son œuvre et lorsque l’apparition du confort matériel  se fera davantage sentir ? Le partage restera-t-il l’un des marqueurs sociaux de cette génération ? A voir.
            La question se posera de façon d’autant plus aiguë que les 15-30 ans aspireront eux aussi, un jour, en tant que salariés, à être rémunérés en échange du travail produit. Ces deux exigences  (partage, d’un coté, et rémunération, de l’autre) semblent, dans le système économique actuel, difficilement conciliables.

Seul mot d’ordre : le pragmatisme.

            Sur le terrain politique, les 15-30 ans surprennent aussi.  A la différence de leurs ainés, la génération Y ne défile pas, n’est pas guettée par la tentation d’un « grand soir », ni tentée par un look rebelle… »Elle porte indéniablement en elle de nouvelles valeurs, et donc une nouvelle société, mais sans que cela passe par un quelconque esprit de révolte » (olivier ROLLOT) Les 15-30 ans sont distants et circonspects vis-à-vis des grands discours idéologiques, des luttes syndicales et plus largement vis-à-vis des institutions. Une partie d’entre eux s’avère même franchement désabusée. Seuls 14% des 16-29 ans disent attendre quelque chose de la part du gouvernement, et 9% de la part des partis politiques.
            « Désenchantée » disent certains, « lucides » nuanceront d’autres. La génération Y peine en tout cas à croire à quoi que ce soit. Le contexte certes ne porte pas à l’optimisme. Contrairement au discours officiel qui leur est tenu depuis le plus jeune âge, Les 15-30 ans découvrent avec amertume que l’obtention d’un diplôme n’immunise pas contre le chômage, ni contre le déclassement social…. Au plan collectif, les raisons d’espérer se font rares. La soi-disant « fin de l’histoire » inaugurée par la chute du Mur de Berlin se révèle plus chaotique d’annoncée : ni la crise du capitalisme mondialisé, ni la montée de la xénophobie ne semblent pouvoir être enrayées. Autant de désillusions qui renforcent la défiance des plus jeunes vis-à-vis de leurs aînés, de l’école, de la classe politique et vis-à-vis des élites en général.
            En conclure que la génération Y se détourne de la chose publique serait pourtant hâtif. Les 15-30 ans s’impliquent dans la vie de la cité, mais différemment. Leur mot d’ordre : le pragmatisme. Ils ne croient qu’en ce qui marche et optent pour des projets ponctuels, des actions aux effets immédiats.
            Passés maitres dans l’art du buzz, du happening, voire du hacking, les digital natives renouvellent totalement la façon de se mobiliser. Ils boudent les bureaux de vote, mais font preuve d’une énergie et d’une créativité incroyables sur les réseaux sociaux. Le succès des manifestations des « Indignés », celle du collectif « Occupy Wall Street » ou les impressionnantes opérations lancées par les « Anonymous » en attestent. Les capacités d’auto organisation des Internautes fonctionnent, sans qu’il soit besoin de se doter d’un chef emblématique pour exister politiquement.
            Reste à savoir si ce type d’action se substituera à terme aux partis classiques. « Le Net est un outil idéal pour organiser un mouvement de réaction, mais construire un projet politique suppose aussi un engagement réflexif et une présence au long cours » (Monique DAGNAUD). En clair, les digital natives excellent quand il s’agit de dénoncer, mais cela ne suffit pas à changer la donne politique. Apprendront-ils à articuler dénonciation et construction d’un nouveau modèle de société ?
            Ce n’est là qu’une des nombreuses interrogations en suspens. Quel sera le devenir des 15-30 ans ? Quels salariés, quels parents, quels couples seront-ils ? Comment évolueront-ils avec la maturité ? Réponses dans quelques décennies.


             Ce qui est sûr, c’est qu’avec Internet, l’esprit critique des jeunes générations s’est considérablement aiguisé, affiné et amplifié. Ils se vantent de ne pas être dupes des slogans politiques, des discours formatés des dirigeants d’entreprises, des messages publicitaires. Ils aiment traquer les doubles discours (voire les contradictions) des personnalités en vue.Si cette lucidité peut être saluée chez des jeunes (aux quels on a tendance à reprocher l’immaturité), il ne faudrait pas qu’elle se meuve en méfiance systématique et qu’elle mine la confiance et l’espoir et l’assurance pour permettre de se construire… La jeune génération saura-t-elle conserver l’esprit critique qui la caractérise sans verser dans un cynisme stérile ? Tel est le principal risque qui la guette.          

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