Les spécialistes préfèrent
parler de «jeu excessif» ou d' «usage abusif» plutôt que de dépendance. Seuls
les jeux en ligne recréant de véritables univers parallèles peuvent mener à des
comportements pathologiques, en particulier chez les jeunes.
Peut-on
devenir accro aux jeux vidéo? Le comportement de personnes qui passent parfois
plus de dix heures par jour devant leur écran à triturer manette ou clavier
pourrait le laisser croire. Toutefois, à l'occasion d'un séminaire sur
l'addiction et la régulation dans le monde des jeux vidéos organisé par le Centre d'analyse
stratégique, médecins et chercheurs spécialisés du domaine ont été
unanimes: les cas de jeu excessif sont rares et ne relèvent pas, quelle que
soit sa définition, de l'addiction. Ni l'American psychatric association, ni
l'OMS ne font d'ailleurs référence pour le moment à une quelconque «dépendance
au virtuel», contrairement à ce que l'on pourrait penser en parcourant les
médias. Cette notion d'addiction, très complexe, ne relève toujours pas d'un
consensus scientifique. Le débat autour de ce sujet est donc très riche.
Mark
Griffiths, professeur de psychologie à l'université de Nottingham et grand
spécialiste mondial du sujet, est un des premiers à avoir tenté de définir en
2007 six critères objectifs afin de caractériser cette addiction particulière:
prépondérance de l'activité, modification de l'humeur, repli sur soi,
génération de conflits, phénomène de rechute, augmentation irrésistible du
temps consacré au jeu. Sa définition, commode et intuitive, a l'avantage de
permettre des statistiques. Au cours d'une étude rassemblant plus de 7000
joueurs réguliers, des jeunes pour la plupart, le chercheur anglais n'en a
toutefois trouvé aucun remplissant l'intégralité de ces six critères. Parmi ces
joueurs à risque, seuls 12% présentaient au moins trois de ces «symptômes».
Le chef du
service de toxicomanie de l'hôpital Marmottan, Marc Valleur, privilégie de son
côté une définition clinique de l'addiction basée sur l'incapacité du patient à
réduire volontairement sa consommation alors qu'il le souhaite. Celle-ci ne
s'oppose pas frontalement aux vues de Griffiths, mais offre une approche
complémentaire:
En dépit de l'absence de
données épidémiologiques, un profil du joueur abusif se dégage des observations
cliniques. Bien que les éditeurs de jeux vidéo n'aient de cesse de rappeler, à
juste titre, que les femmes jouent de plus en plus
et que l'âge moyen des joueurs est en constante augmentation, Marc Valleur
constate en effet que sur les 247 personnes reçues en consultation à Marmottan
depuis 2004 parce qu'elles voulaient réduire leur consommation de jeux vidéo,
237 étaient des adolescents ou de jeunes adultes mâles. Par ailleurs, la
quasi-totalité des usages pathologiques avérés sont liés à un seul titre: World
of Warcraft (WoW). Ce jeu en ligne est un univers virtuel dans lequel des
millions de joueurs participent simultanément, sous les traits de leur avatar,
une véritable seconde vie. Sa popularité et son potentiel addictif viennent de
là. Le danger représenté par ce type de jeu ne doit pas faire condamner par
avance les milliers d'autres jeux «inoffensifs» existants, préviennent
unanimement les spécialistes.
Marc Valleur n'est d'ailleurs
pas alarmiste. D'après lui, les 247 cas extrêmes reçus à Marmottan ne sont pas
grand chose au regard des centaines de milliers de joueurs français enregistrés
sur WoW et des nombreuses sollicitations de
parents inquiets. Il serait pour cette raison erroné de dire que les
adolescents font face, dans leur ensemble, à un péril ludique comme cela est
souvent suggéré. Le constat est appuyé par Serge Tisseron, psychiatre,
psychanalyste et docteur en psychologie, spécialisé dans les nouvelles
technologies. Ce dernier a constaté que le temps de jeu qui augmente au cours de l'adolescence,
diminue peu après et se trouve considérablement réduit au moment du passage aux
études supérieures ou à l'entrée dans la vie active.
Les
neuroscientifiques ont par ailleurs montré ces dernières années que la capacité
des adultes à résister à leurs impulsions est un mécanisme neuronal qui se
construit pendant l'adolescence, explique Serge Tisseron. L'incapacité de
l'adolescent à s'empêcher de jouer ne révèle donc pas une addiction à
proprement parler:
L'un des
plus célèbres créateurs de jeu français, David Cage, rappelle lui aussi qu'il
ne faut pas confondre cause et effet. L'usage abusif «n'est pas un problème du
jeu vidéo, mais un problème de l'adolescence, dont le jeu est une conséquence».
Mark Griffiths va encore un peu plus loin en rappelant que l'aspect chronophage
du jeu n'est pas forcément négatif. «J'ai vu des jeunes qui m'ont dit préférer
passer 4 à 5 heures par jour à jouer plutôt que de boire ou de se droguer.» Une
manière provocatrice de rappeler que les bénéfices sociaux du jeu vidéo sont
peut-être plus importants que ses dangers. Même si ces derniers polarisent plus
souvent l'attention.
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