Marie BOËTON, journaliste à La Croix / Revue ETUDES de juillet-août 2013.
Se
distraire, consommer, s’informer est désormais possible par un simple clic.
Vivre connecté, télécharger de la musique en ligne, faire un exposé à partir de
Wikipédia, poster ses photos sur Facebook, relèvent de l’évidence pour les digital natives. Nés entre le début des
années 80 et le milieu des années 90, les
15-30 ans appartiennent à ce qu’il est désormais convenu d’appeler la
« génération Y ».
Selon
certains, le Y qui se prononce « Why » en anglais et signifie
« pourquoi » renvoie à la remise en cause permanente par les 15-30
ans, des décisions prises par leurs aînés. « Ces
jeunes ont le sentiment d’avoir réponse à tout en ligne. Dès lors, ils ne supportent pas les autorités
autoproclamées. Ils veulent comprendre avant d’apprendre ou d’obéir »
Olivier ROLLOT, spécialiste des questions d’éducation et auteur de « La génération Y » (PUF).
Comment caractériser cette classe d’âge ?
Si les générations précédentes ont été marquées du sceau d’un évènement
historique (2 guerres mondiales, mai 1968…), les digital natives ont été massivement
et durablement façonnés par Internet. .. La génération Y ne se résume,
certes, pas à cela. Elle est marquée par la précarité affective et
professionnelle de ses ainés. Elle se caractérise aussi par une forte défiance
vis-à-vis des institutions. Mais ici nous nous intéresserons à la manière dont
la révolution numérique a façonné cette
classe d’âge.
Le
fait d’être entourés d’écrans et de vivre en permanence collectés au Net a en
effet bouleversé les modes d’apprentissage des 15-30 ans, de même que leur
façon de se socialiser, de se cultiver, de militer, etc.… En quoi l’émergence d‘Internet – que certains
présentent come aussi fondamentale que l’avènement de l’écriture ou
l’apparition de l’imprimerie – fait-elle des digital natives, des élèves, des consommateurs et des citoyens différents ?
Mémoire versus inventivité.
Avoir
un écran pour compagnon de jeu depuis le plus jeune âge, tel est le sort des digital natives. Comment un tel
environnement impacte-t-il le développement cognitif de l’enfant ? Selon
les études de Olivier HOUDE – directeur du Laboratoire de psychologie du
développement et de l’éducation de l’enfant à l’Université Paris-Descartes - ,
« Lorsque les élèves font face à un écran, ce sont souvent les parties
postérieures du cerveau, les parties visuelle et sensorielle – en clair,
l’intelligence élémentaire - qui sont activées…Ainsi les élèves sollicitent
moins le cortex préfrontal, c’est-à-dire le lieu de la synthèse personnelle et
de l’abstraction, mais on peut leur apprendre à la faire ! … D’où le rôle
de l’éducation »
De
leur coté, les enseignants se plaignent surtout de la réflexion fragmentée de leurs élèves. Sur-sollicités, les
adolescents ont tendance à vivre dans
l’instantanéité et éprouvent plus de difficultés à se concentrer. Dans un
ouvrage aussi polémique que commenté,
« Internet rend-il bête ? », le journaliste américain
Nicholas CARR va jusqu’à prédire une baisse du QI des futures générations.
Connectés
en permanence à Internet, les digital
natives renouvellent le rapport au
savoir, eux qui ont réponse à tout en quelques clics sur Wikipédia. Cet
accès à un flot infini d’informations bouleverse
de fait, la mission de l’enseignant. Elle est bien révolue l’époque où ils
étaient les seuls dépositaires du savoir….
« Les
cours magistraux « à
l’ancienne » ne réussissent plus à capter l’attention des élèves. Ces
derniers finissent par devenir très exigeants : ils veulent désormais
faire en cours quelque chose qui n’a pas d’équivalent ailleurs, selon Denis
KAMBOUCHNER, professeur de philosophie à Paris I... Conscients de cette
évolution, certains établissements du
supérieur diminuent par exemple le nombre de cours en amphithéâtre. A
l’université de CERGY-PONTOISE, dans les disciplines scientifiques, les cours
magistraux ont diminué au profit des travaux dirigés, ce qui permet aux
enseignants d’intervenir de façon
individualisée auprès des étudiants. Il ne s’agit plus pour eux de délivrer un
cours – qui peut désormais être mis en ligne – mais de s’adapter au rythme des
élèves, d’aiguiser leur esprit critique, de les amener à remettre en
perspective différents concepts.
Parallèlement,
de plus en plus d’écoles d’ingénieurs et de management organisent leur
scolarité autour de projets.
« Il arrive un moment où les étudiants prennent acte des compétences qui
leur manquent pour mener à terme ces projets : c’est à ce stade que
l’enseignant intervient et leur dispense le savoir qui leur fait défaut. On
assiste alors à une inversion de la charge de la preuve : c’est à
l’enseignant de démontrer son utilité » (Olivier ROLLOT).
L’idée
même d’acquisition de connaissances se trouve remise en question par les
nouvelles technologies. En effet, pourquoi apprendre, pourquoi mémoriser si le NET se souvient de tout pour nous ?
Si nous sommes tous dotés de ce vaste disque dur externe qu’est Internet,
pourquoi ne pas plutôt consacrer tout son temps à la création ? Les
adolescents sont les premiers à vouloir se décharger des tâches répétitives de
mémorisation et laisser libre cours à leur inventivité. C’est le sens du propos
de Michel SERRES, auteur de Petite
Poucette, ouvrage dans lequel il
analyse le bouleversement provoqué par l’accès généralisé au savoir. « On
a le cerveau vide, mais le vide du cerveau peur être libérateur… Il nous a
rendus disponibles pour de nouveaux usages. Nous pouvons enfin nous concentrer
sur l’intelligence inventive ».
Tous
ne nourrissent pas le même optimisme. Pour Denis KAMBOUCHNER : « Il est illusoire de croire qu’il
suffit d’avoir accès au savoir pour savoir. Pour bénéficier de la richesse des
informations disponibles sur le Net, encore faut-il avoir déjà en soi des structures
intellectuelles prêtes à les réceptionner et à les remettre en question ».
Faute de quoi, les jeunes générations risquent de rencontrer de réelles difficultés à raisonner par elles-mêmes.
Vers une « cyber
socialisation »
Si les 15-30 ans
apprennent différemment, ils se socialisent différemment, ou plutôt ils se
cyber socialisent. Les amitiés continuent de se nouer en milieu scolaire, mais
elles se prolongent désormais en ligne sur les « chats », les réseaux
sociaux ou via les blogs. Les digital natives
développent une véritable identité
numérique. « Il s’agit pour eux d’être populaires : à la
fois assez proches des autres pour être accepté et suffisamment singulier pour être respecté », selon Olivier
ROLLOT. Certains jeunes se racontent dans les moindres détails, d’autres se
contentent de livrer leur humeur du jour, d’autres encore postent en ligne
leurs vidéos et leurs musiques favorites, montrant ainsi à quelle tribu ils se
rattachent. « L’utilisation des réseaux numériques incite au dévoilement de sa subjectivité et à une
certaine mise en scène de soi-même » (Monique DAGNAUD). Dans son livre
« Génération Y », elle
précise : « Blogs et réseaux sont très éloignés de l’exploration
intérieure conduite dans les Journaux Intimes ; les jeunes y travaillent
davantage une projection de soi
qu’une recherche d’explication de soi ; plus précisément, la réflexivité
demeure mais l’internaute ne perd jamais à l’esprit que sa subjectivité va être
publicisée et qu’elle doit être affinée sous un angle original. Cette communication est donc en
partie calculée ».
Lees
réseaux sociaux se trouvent eu cœur
de cette écologie numérique. Et tout particulièrement le site américain
Facebook, devenu le lieu d’expression privilégié des jeunes générations. Etant avant tout un lieu d’échange et de
partage, il permet aussi d’afficher son capital relationnel en diffusant sa
liste d’amis (120 en moyenne).
On
aurait tort de voir dans cette « cyber sociabilité » une duplication
des relations sociales nouées dans la « vraie » vie. Les échanges en
ligne obéissent à d’autres codes
communicationnels. Les internautes s’épanchent souvent beaucoup plus
facilement qu’ils ne le font de visu.
Pour des adolescents parfois mal à l’aise avec leur corps, Internet est devenu
dans certains cas, un canal d’expression
idéal. Non sans risque. Car si l’humour, l’hilarité et l’autodérision (le
fameux esprit LOL –laughiing out loud, rire à gorge
déployée) caractérisent les 15-30 ans, la moquerie tient une place de choix
dans la culture jeune.
Certains
éprouvent une véritable excitation à l’idée de tourner autrui en dérision. Les
plus malveillants peuvent se montrer particulièrement cruels. Leur jeu
favori : repérer une victime en ligne, récupérer ses coordonnées
personnelles, les diffuser sur la Toile et inciter ensuite les internautes à
lui rendre la vie impossible. Confer l’affaire Jessi SLAUGHTER : en 2010,
cette adolescente américaine volontiers mythomane, déclare en ligne avoir une
relation amoureuse avec une jeune rock star. Ses propos sont immédiatement
tournés en dérision. Après avoir crûment insulté ses détracteurs, la jeune
fille se trouve victime d’une terrible vengeance des internautes. Son adresse
est diffusée sur le Net. Les internautes lui font livrer des milliers de
pizzas, à charge pour elle de payer les additions. Ils décident ensuite de
faire passer son adresse pour un lieu de prostitution. La police a dû placer sa
famille et l’adolescente sous protection pendant quelques mois.
« L’effet de groupe et l’anonymat
inhérents au Net encouragent la
transgression. C’est un peu comme s’il délivrait de tous les codes sociaux.
Par ailleurs, le fait de ne pas connaître la victime incite encore plus à la
désinvolture » (Monique DAGNAUD).
Peut-être
est-ce cette même désinvolture qui amène les digital natives à dévoiler leur intimité en ligne. Les chiffres
parlent d’eux-mêmes : 82 % des 18-24 ans mettent en ligne leur date de
naissance et 85 % leur identité, 7086 % y déposent des photos et 5 % vont
jusqu’à indiquer leurs orientation sexuelles (enquête IFOP – 2010). Les murs
servaient à délimiter et à protéger la vie privée de chacun ; le
« Wall » de Facebook permet désormais de se donner à voir. Etonnant
glissement sémantique !
Alors
que la CNIL mène une veille scrupuleuse pour empêcher tout fichage abusif des
citoyens, les digital natives se
dévoilent chaque jour un peu plus. Ils semblent ignorer qu’un jour leur futur
patron « googelisera » leur nom avant de les recruter. Ils oublient
aussi que les marketeurs se repaissent du flot de renseignements déversés
quotidiennement en ligne.
Les
15-30 ans finiront-ils par prendre la mesure des risques qu’il y a à exposer
ainsi leur vie privée ? Sans doute. Mais reste à savoir quand. En
attendant une telle prise de conscience, certains réclament la mise en place
d’un droit à l’oubli sur le Net, et
tout particulièrement au profit des adolescents. Le Défenseur des Droits,
Dominique BAUDIS, souhaite au nom de la protection de l’enfance, que les
internautes puissent faire disparaître des réseaux toutes les informations
personnelles, mises en ligne lorsqu’ils étaient mineurs. La Commission
européenne va dans ce sens ; les réseaux sociaux y sont pour l’heure
farouchement opposés. Les parents des premiers concernés semblent étrangement
en retrait sur ce sujet pourtant décisif. En réalité, la plupart d’entre eux se
savent dépassés par leur progéniture sur le plan technologique. Plus grave, ils
ignorent souvent l’usage que les plus jeunes font du Net.
Il
faut reconnaître qu’en l’espace de 20 ans, la vie familiale a connu de profonds
bouleversements. Le temps passé en
famille n’est plus un temps vécu avec la famille. Chacun vaque à ses
centres d’intérêt. Il y a une vingtaine d’années, les adolescents regardaient
la télévision dans le salon et monopolisaient la ligne téléphonique du foyer
pour discuter entre amis. La donne a radicalement changé depuis : les digital natives téléchargent des films
et les visionnent sur leur ordinateur personnel. Ils passent leur temps à
échanger des SMS, au fond de leur chambre. Résultat : le pourvoir de
filtrage des parents a fini par disparaître. La socialisation verticale (entre
parents et enfants a progressivement été
supplantée par la socialisation
horizontale (entre membres d’une même génération). Les « pairs »
jouent désormais un rôle prépondérant… au détriment des pères.
Les
parents ne semblent pas s’en offusquer. Tout d’abord, parce que
l’épanouissement de leurs petits prime sur le reste. Ensuite, parce qu’ils
culpabilisent eux-mêmes de rentrer tard du travail ou d’imposer une garde alternée
à leurs rejetons après un divorce. En clair, ils ne se sentent pas en position
de force pour rejeter l’usage que leur progéniture fait du Net. De surcroit,
pour Olivier ROLLOT, la plupart des adultes refusent délibérément de s’immiscer
dans l’intimité de leurs enfants. « S’ils leur laissent autant de liberté,
c’est aussi parce que, consciemment ou non,
ils ne sont pas certains de posséder les codes du monde à venir.
Ils ne veulent pas leur inculquer des vérités qui risquent d’être
bientôt dépassées ».
« On ne vole pas, on partage ! »
C’est
sans doute dans la sphère des loisirs
que les digital natives et leurs
ainés peinent le plus à se retrouver. Un monde sépare les 2 générations, les
« enfants d’Internet » et les « enfants de la télé ». Ces
derniers continuent à plébisciter le petit écran quand les plus jeunes optent
pour les films téléchargés et les séries en « streaming ». « Les
15-30 ans ont du mal à se plier aux règles de la télévision qui imposent d’être
disponibles tel jour à telle heure pour regarder un programme. Ces jeunes
tiennent à avoir une plus grande maitrise de leur temps libre » (Olivier
DONNAT, sociologue)
Internet
bouleverse-t-il en profondeur les pratiques culturelles ? A-t-il fait
émerger une culture générationnelle dépassant l’appartenance de classe ?
Pas réellement. « Les usages d’Internet ont pris place dans des univers
culturels qui préexistaient, sans modifier les centres d’intérêt »
(Olivier DONNAT). En clair, on va chercher sur Internet, ce que notre milieu
socioculturel nous prédestine à aimer.
Internet
a en revanche considérablement boosté la
créativité. 74% des 15-20 ans ont une activité d’autoproduction sur
ordinateur (photos, blogs, production de vidéos ou de musique). On ne peut pas
parler d’œuvres au sens strict. La plupart des jeunes se contentent en effet de
détourner des vidéos existantes pour les pasticher. Seule une minorité met en
ligne des productions plutôt abouties dans l’espoir de gagner une petite
notoriété. « Le Net stimule les expressions artistiques et rend poreuses
les frontières entre la pratique artistique du pur loisir et la mobilisation
d’un réseau en vue d’une carrière » (Monique DAGNAUD). Les techniques de
numérisation – peu couteuses – et la généralisation de l’accès au Net ont
radicalement démocratise la production et la distribution de contenus
culturels. Résultat : la frontière entre amateurs et professionnels s’est
progressivement brouillée, tout comme celle qui opposait consommateurs et
producteurs de biens culturels.
A
force de diffuser gratuitement en ligne leur propre production, les digital natives ne voient pas la
nécessité de rémunérer celle des autres. Ils s’adonnent d’ailleurs massivement
au téléchargement illégal. 57% des
18-24 ans piratent de la musique (contre 18 % pour l’ensemble des Internautes).
Près de 42% des 18-24 ans font de même avec les films (contre 13ù pour le reste
de la population. Et ils ne semblent pas éprouver la moindre culpabilité.
« On ne vole pas, on partage ». Le fait d’avoir fait perdre au
secteur musical la moitié de son chiffre d’affaires ne les émeut guère.
Consciemment ou non, les digital natives
militent pour que les biens culturels deviennent des biens publics.
Ils
culpabilisent d’autant moins que ces biens sont totalement immatériels et
immédiatement accessibles. Partir d’un magasin avec un DVD sous le bras est
considéré comme du vol, mais avec lé
téléchargement, c’est différent ! Le fait que tout se passe en quelques
clics rend ce vol presque virtuel à leurs yeux.
En
répétant « on ne vole pas, on partage », les 15-30 ans font preuve de
mauvaise foi et ils le savent… On aurait tort toutefois de nier leur appétence sincère pour le partage. En
témoigne leur engouement pour la colocation, le covoiturage, le coachsurfing…
« Ils plébiscitent les sites de location de voitures, d’outils et même de
vêtements de marque. A leurs yeux, tous
ces biens doivent circuler. Ils consentent à dépenser de l’argent pour des
expériences immatérielles, comme les voyages, mais achètent de moins en moins
des biens matériels, susceptibles d’être échangés ou partagés » (Olivier
ROLLOT). … Partager plus que posséder, tel serait le leitmotiv des 15-30 ans….
Reste à long terme, deux inconnues. Cette propension au partage
perdurera-t-elle au fil des temps ? Car, ne soyons pas dupes, elle
s’explique aussi du fait de leur pourvoir d’achat limité. Qu’en sera-t-il dans
quelques années, lorsque l’embourgeoisement aura fait son œuvre et lorsque
l’apparition du confort matériel se fera
davantage sentir ? Le partage restera-t-il l’un des marqueurs sociaux de
cette génération ? A voir.
La
question se posera de façon d’autant plus aiguë que les 15-30 ans aspireront
eux aussi, un jour, en tant que salariés, à être rémunérés en échange du
travail produit. Ces deux exigences
(partage, d’un coté, et rémunération, de l’autre) semblent, dans le
système économique actuel, difficilement conciliables.
Seul mot d’ordre : le pragmatisme.
Sur
le terrain politique, les 15-30 ans surprennent aussi. A la différence de leurs ainés, la génération
Y ne défile pas, n’est pas guettée par la tentation d’un
« grand soir », ni tentée par un look rebelle… »Elle porte
indéniablement en elle de nouvelles valeurs, et donc une nouvelle société, mais
sans que cela passe par un quelconque esprit de révolte » (olivier ROLLOT)
Les 15-30 ans sont distants et circonspects vis-à-vis des grands discours
idéologiques, des luttes syndicales et plus largement vis-à-vis des
institutions. Une partie d’entre eux s’avère même franchement désabusée. Seuls
14% des 16-29 ans disent attendre quelque chose de la part du gouvernement, et
9% de la part des partis politiques.
« Désenchantée »
disent certains, « lucides » nuanceront d’autres. La génération Y
peine en tout cas à croire à quoi que ce soit. Le contexte certes ne porte pas
à l’optimisme. Contrairement au discours officiel qui leur est tenu depuis le
plus jeune âge, Les 15-30 ans découvrent avec amertume que l’obtention d’un
diplôme n’immunise pas contre le chômage, ni contre le déclassement social…. Au
plan collectif, les raisons d’espérer se font rares. La soi-disant « fin
de l’histoire » inaugurée par la chute du Mur de Berlin se révèle plus
chaotique d’annoncée : ni la crise du capitalisme mondialisé, ni la montée
de la xénophobie ne semblent pouvoir être enrayées. Autant de désillusions qui renforcent la défiance des plus jeunes
vis-à-vis de leurs aînés, de l’école, de la classe politique et vis-à-vis des
élites en général.
En
conclure que la génération Y se détourne de la chose publique serait pourtant
hâtif. Les 15-30 ans s’impliquent dans la vie de la cité, mais différemment.
Leur mot d’ordre : le pragmatisme.
Ils ne croient qu’en ce qui marche et optent pour des projets ponctuels, des actions aux effets immédiats.
Passés
maitres dans l’art du buzz, du happening, voire du hacking, les digital natives renouvellent totalement
la façon de se mobiliser. Ils boudent les bureaux de vote, mais font preuve
d’une énergie et d’une créativité incroyables sur les réseaux sociaux. Le
succès des manifestations des « Indignés », celle du collectif
« Occupy Wall Street » ou les impressionnantes opérations lancées par
les « Anonymous » en attestent. Les capacités d’auto organisation des
Internautes fonctionnent, sans qu’il soit besoin de se doter d’un chef
emblématique pour exister politiquement.
Reste
à savoir si ce type d’action se substituera à terme aux partis classiques. « Le Net est un outil idéal pour
organiser un mouvement de réaction, mais construire un projet politique suppose
aussi un engagement réflexif et une présence au long cours » (Monique
DAGNAUD). En clair, les digital natives
excellent quand il s’agit de dénoncer,
mais cela ne suffit pas à changer la donne politique. Apprendront-ils à
articuler dénonciation et construction d’un nouveau modèle de société ?
Ce
n’est là qu’une des nombreuses interrogations en suspens. Quel sera le devenir
des 15-30 ans ? Quels salariés, quels parents, quels couples
seront-ils ? Comment évolueront-ils avec la maturité ? Réponses dans
quelques décennies.
Ce qui est sûr, c’est qu’avec Internet, l’esprit critique des jeunes
générations s’est considérablement aiguisé, affiné et amplifié. Ils se vantent
de ne pas être dupes des slogans politiques, des discours formatés des
dirigeants d’entreprises, des messages publicitaires. Ils aiment traquer les
doubles discours (voire les contradictions) des personnalités en vue.Si cette
lucidité peut être saluée chez des jeunes (aux quels on a tendance à reprocher
l’immaturité), il ne faudrait pas qu’elle se meuve en méfiance systématique et
qu’elle mine la confiance et l’espoir et l’assurance pour permettre de se
construire… La jeune génération
saura-t-elle conserver l’esprit critique qui la caractérise sans verser dans un
cynisme stérile ? Tel est le principal risque qui la guette.
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